Sauter Netflix, dire adieu à Instagram, ranger les chips au placard et même éviter les regards dans la rue… la « dopamine détox » s’est taillé une place de choix dans l’univers du développement personnel. Mais derrière le buzz et les hashtags à succès, que vaut vraiment la pratique sur le plan scientifique ? Eléments de réponse !

Un concept séduisant mais bancal

Le principe est simple, presque vendeur : éliminer les plaisirs immédiats pour « rééquilibrer » son cerveau, réinitialiser sa motivation et optimiser sa productivité. TikTok regorge de vidéos vantant les mérites de cette cure, avec le mot-dièse #dopaminedetox qui dépasse les 100 millions de vues. Des figures comme Yomi Denzel, célèbre « gourou » du dropshipping (au passage il existe d’autres très bonnes formations sur le sujet comme celles proposées par le mouvement Enfin Libre de Saad Ben), ne tarissent pas d’éloges sur ce régime ascétique. En Islande, loin du tumulte des notifications et des plaisirs modernes, le « gourou » du e-commerce s’est lancé dans une déconnexion radicale, en quête de motivation et d’efficacité. Certains y voient donc une méthode révolutionnaire pour contrer l’abondance de notre société moderne. Mais en réalité, cette pratique repose sur une interprétation souvent erronée des mécanismes de la dopamine…

La dopamine, une molécule clé du système de récompense du cerveau, est associée à la sensation de plaisir et à la motivation. Mais contrairement à ce que laisse entendre la « dopamine détox », il est impossible de « réinitialiser » ou de « purger » ses niveaux de dopamine par une simple privation. Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS, est catégorique : « Faire une détox de dopamine, ça n’a aucun sens. C’est un sophisme ». La molécule ne fonctionne pas comme un réservoir que l’on vide ou que l’on remplit à volonté.

Une histoire qui commence dans la Silicon Valley

Le concept de la dopamine détox est né à la fin des années 2010, dans les couloirs de la Silicon Valley. Obsédés par la performance et inspirés par des études sur les mécanismes neuronaux, des entrepreneurs comme Cameron Sepha ont popularisé l’idée d’un « jeûne sensoriel » pour maximiser la concentration. Dans son billet viral de 2019, il décrit comment il s’est volontairement coupé de toutes les stimulations – allant jusqu’à éviter les conversations et les regards. Une démarche radicale qui lui aurait permis de redécouvrir une motivation intense.

Les médias américains ont rapidement repris cette histoire, transformant un exercice personnel en phénomène global qui aurait de nombreux bienfaits, de la réduction de la fatigue à l’augmentation de notre concentration… Pourtant, les neuroscientifiques rappellent que cette extrapolation des études animales à l’homme est scientifiquement infondée. Les niveaux de dopamine dans le cerveau humain sont bien plus complexes à mesurer et à influencer.

Une illusion d’abondance ?

Les promoteurs de la dopamine détox pointent souvent du doigt l’abondance sensorielle de notre époque. Entre les réseaux sociaux, les jeux vidéo et les plats hyper caloriques, ils dénoncent une société où la dopamine coulerait à flots, rendant nos cerveaux incapables de savourer les plaisirs simples. Mais là encore, les spécialistes relativisent. « Le cerveau humain est extraordinairement adaptable », rappelle Pierre-Marie Lledo. Il n’a pas besoin d’une purge extrême pour s’ajuster à un environnement riche en stimulations. Les comportements jugés problématiques, comme le scrolling compulsif ou les excès alimentaires, nécessitent davantage une réflexion sur les habitudes qu’une coupure brutale.

ce que disent les neurosciences de la dopamine detox

Ce que dit la science

Contrairement aux promesses des influenceurs, les neurosciences sont loin de valider l’idée d’une détox de dopamine… Si certaines pratiques, comme réduire son temps d’écran ou limiter les excès, peuvent apporter un bien-être général, elles ne modifient pas significativement les niveaux de dopamine. Pire encore, une privation prolongée pourrait induire des effets négatifs, comme la démotivation ou une forme de léthargie.

Anna Lembke, addictologue à Stanford, a néanmoins tenté d’encadrer cette tendance dans son livre Dopamine Nation, où elle propose des protocoles inspirés des sevrages appliqués à des patients en situation d’addiction sévère. Mais même dans ce cadre précis, elle souligne l’importance de ne pas confondre une cure ascétique avec une véritable solution comportementale. La clé, selon elle, réside dans un équilibre, et non dans une suppression totale.

Source :
https://www.fnac.com/a19320182/Anna-Lembke-Un-monde-sous-dopamine
https://podcasts.apple.com/gb/podcast/dopamine-detox-take-back-control-of-your-life-dr/id1507408404?i=1000575659911